Le nouveau Ouigo Bruxelles-Paris est-il la fin du « Tout TGV » ?
- baeyensp
- 2 févr.
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Dernière mise à jour : 3 févr.
Bien que Back on Track Belgium se concentre principalement sur les trains longue distance, nous ne pouvons ignorer le retour des trains classiques, ou « à vitesse normale », Paris-Bruxelles. Depuis la semaine dernière, ceux-ci circulent trois fois par jour et, pour l'instant, avec des arrêts à Mons, Aulnoye-Aymeries et Creil.
Contexte historique
L'axe Paris - Bruxelles - Amsterdam a toujours été l'un des axes ferroviaires les plus importants d'Europe. Le tronçon sud Paris - Bruxelles a également été la première liaison entre deux capitales européennes à être établie en 1846, ainsi que la première ligne internationale à grande vitesse entre deux capitales, dont la majeure partie a été mise en service au printemps 1996. Le tronçon entre Antoing dans le Hainaut et Halle près de Bruxelles a été mis en service un peu plus tard.
Le marché libre et le « tout TGV »
Mais c'est aussi l'axe qui a ouvert la voie à autre chose, beaucoup moins visible : c'est le premier axe en Europe à connaître le phénomène que l'on appelle en France « le tout TGV », ce qui n'est pas exclusivement positif. Les années 1990 ont été des années de réalignement politique : le bloc communiste s'est effondré, la Communauté économique européenne (CEE) s'est transformée en Union européenne (UE), qui coopère encore plus étroitement, et la plupart des partis politiques, y compris de gauche, ont vu leur salut dans le renforcement des forces du marché. Le marché pouvait répondre aux besoins des consommateurs mieux qu'un appareil bureaucratique organisé.William Jefferson Clinton, candidat du parti démocrate américain à l'élection présidentielle de 1992, est revenu sur ses promesses électorales, qui prévoyaient davantage de services sociaux, et a préféré miser sur un renforcement des forces du marché et une réduction de l'intervention de l'État.
L'Europe avait également l'impression que la réduction de l'intervention gouvernementale était une solution pour les institutions perçues comme fossilisées, telles que les chemins de fer. Les chemins de fer perdaient de plus en plus de terrain au profit de l'automobile et de l'avion. En 1991, le feu vert à la libéralisation des chemins de fer européens a été donné par la directive 91/440, qui a imposé une séparation comptable entre l'infrastructure et l'exploitation, dont découleront plus tard les bennes payantes.
Du TEE à l'Eurocité
La nécessité d'agir était évidente : le TEE, qui avait été jusqu'au milieu des années 1980 le fleuron des différentes sociétés ferroviaires européennes coopérantes, n'était plus que l'ombre de ce qu'il avait été à la fin des années 1960. Le TEE n'avait que la première classe et il fallait payer un supplément, ce qui constituait un sérieux obstacle par rapport à la voiture, devenue tout aussi rapide avec la construction des autoroutes. Les chemins de fer européens qui coopéraient ont créé l'Intercity et l'Eurocité/Eurocity, qui transportaient les deux classes, accessibles à toutes les couches de la société. Cependant, ils n'ont jamais atteint l'image d'un TEE, bien que les Eurocités soient tous équipés de l'air conditionné et d'un restaurant ou au moins d'un bistro. Le gain de temps par rapport à un TEE ou à une voiture, s'il existe, est négligeable.
De l'Eurocité au TGV
Le TGV lancé en France en 1981 semblait être une solution à la baisse de la part de marché des chemins de fer. Le nombre de passagers sur l'axe Paris-Lyon avait augmenté de 70 % en un an après la mise en service du TGV. La décision de construire un réseau complet a été prise immédiatement, et Londres et Bruxelles ont tout de suite été pressenties pour être les premières à être connectées au réseau français à grande vitesse. Nous examinerons plus en détail le développement du réseau ferroviaire belge à grande vitesse dans un article ultérieur, mais quoi qu'il en soit, juin 1996 a été un moment charnière non seulement pour l'axe Paris-Bruxelles, mais aussi pour l'ensemble des chemins de fer européens.
Le « Yield Management » (gestion du rendement)
Le TGV est techniquement très différent du train classique : l'une des différences les plus frappantes est que les TGV sont des rames fixes, avec une « motrice » fixe aux deux extrémités de la rame. Au milieu, les voitures forment une unité à peine détachable, contrairement aux trains classiques où l'on peut facilement insérer des voitures entre elles aux heures d'affluence. Ainsi, avec le TGV, l'offre est restée la même, mais la demande a continué à fluctuer, surtout en France où les vendredis et dimanches soir ainsi que les lundis matin sont les périodes les plus chargées de la semaine.
L'offre n'étant pas ajustable, la SNCF avait mis fin à la politique de tarification forfaitaire d'un certain prix au kilomètre : dans le TGV, il fallait savoir à l'avance quel train on prenait et le prix du billet fluctuait en fonction du moment. Aux heures de pointe, comme le vendredi soir, les billets sont nettement plus chers que le mardi, par exemple. L'objectif est d'encourager les gens à déplacer leurs trajets vers des moments plus calmes, si possible. Ce système est appelé « Yield Management », ou « market pricing », car les prix sont sensibles au marché : si la demande augmente, le prix augmente aussi, alors que dans le passé, on augmentait l'offre en ajoutant des wagons.
Comme le gouvernement ne se préoccupe plus des prix, Thalys peut également pratiquer des prix plus élevés. En général, un billet de dernière minute Bruxelles-Paris en Thalys coûte aussi cher qu'un billet de TGV Bruxelles-Lyon, alors que la distance est deux fois moindre. De nombreuses personnes étaient prêtes et heureuses de payer pour voyager à 300 km/h pour une fois, mais le voyageur à petit budget devait dorénavant réserver à l'avance, ou était renvoyé à l'autocar plus tard, un phénomène qui n'existait pratiquement pas en 1996.
La politique des grandes villes
Le phénomène du « tout TGV » s'explique également par le fait que le réseau TGV a été construit de manière radiale par rapport à Paris, avec beaucoup moins d'arrêts entre les grandes villes. Sur la ligne à grande vitesse, il y a aussi rarement une ville parce que les villes étaient déjà construites et qu'il est impossible d'y faire passer une nouvelle ligne de chemin de fer en ligne droite. La ligne à grande vitesse a été construite à travers les champs, loin des habitations. Alors que certains trains Bruxelles-Paris (pas tous) s'arrêtaient à Mons, Aulnoye ou St-Quentin, le TGV, ou Thalys comme on a fini par appeler le TGV Paris-Bruxelles (aujourd'hui Eurostar), ne s'arrête nulle part. Si l'on voulait se rendre dans l'un des départements du nord de la France, il fallait d'abord aller à Lille ou à Paris, puis revenir, avec un billet séparé.
Au fil des ans, le système des billets internationaux a été dissous et tous les trains locaux français n'étaient plus réservables en Belgique. Pour aller du Hainaut à Compiègne, par exemple, il fallait soit prendre toutes sortes de trains locaux lents ou de bus pour traverser la frontière, soit se rendre d'abord à Bruxelles, puis à Paris et ensuite à nouveau au nord. Les déplacements entre les provinces belges et les départements du Nord étaient donc particulièrement lents, inconfortables et difficiles à réserver. Les chemins de fer ont gagné beaucoup de passagers entre Paris et Bruxelles grâce au gain de temps offert par le Thalys, mais ils ont perdu presque tous les passagers entre les deux, bien que ce nombre soit considérablement plus faible. Techniquement, d'ailleurs, les Thalys étaient identiques à ceux de TGV Réseau.
Ce phénomène du « tout TGV » s'est depuis répandu dans toute la France et est devenu une question politique brûlante : la SNCF a procédé à des coupes si radicales sur les lignes locales et même sur les anciennes lignes principales que la vitesse a sérieusement diminué et que la capacité a dû être réduite. De nombreuses lignes ont été fermées parce qu'il était dangereux d'y faire circuler des trains. Le billetique est un fouillis dans lequel même un connaisseur ne s'y retrouve plus. Pour notre exemple Paris - Bruxelles, cela a surtout provoqué le repli des villes du nord de la France sur elles-mêmes, et les Belges du sud du pays à moins se rendre à Paris en train.
C'est la politique des grandes villes : ceux qui vivent dans une capitale ou une métropole peuvent se rendre très facilement dans une autre grande ville. Il suffit de prendre le bus/tram/métro jusqu'à la gare, puis de prendre le TGV, et en 1h22 on se retrouve déjà dans la capitale d'un autre pays. Ainsi, les grandes villes deviennent de plus en plus attrayantes pour les sociétés, la politique, l'administration, l'éducation, la culture... et certainement pour les agents immobiliers. Les prix de l'immobilier ont fortement augmenté dans ces villes TGV, même à Bruxelles on commence à le sentir. Mais si les grandes villes en profitent, les villes et régions de province sont à la traîne.
Mais ce modèle « Tout-TGV » n'est pas une fatalité. En Allemagne, le réseau à grande vitesse a été planifié différemment, en privilégiant les petites villes qui avaient la chance d'être sur un axe ICE. Ainsi, l'offre de trains en Allemagne est complètement différente. Entre les grandes villes, il existe plusieurs options : IC rapide, ICE lent, ICE rapide et ICE Sprinter extra-rapide.
A quoi ressemblait le trafic Bruxelles-Paris juste avant le TGV ?
Il y avait 11' trains - trains de jour - entre Bruxelles et Paris en 1994, complétés par le train de nuit Amsterdam-Paris qui transportait quelques wagons-lits, pas un wagon-lit, et qui a été supprimé en décembre 2000. Les trains de jour les plus rapides mettaient 2 h 19' sur le trajet, là où le Thalys faisait initialement le trajet en 2 heures, puis, lorsque le tronçon entre Antoing et Halle s'est ouvert, en 1 h 22'. Un gain de temps d'une heure, donc. Il y avait aussi environ cinq trains Paris - Namur - Liège, dont deux étaient en fait des trains de nuit qui commençaient leur voyage le soir à Paris, respectivement vers Berlin/Hambourg et Koebenhavn.
Un retour vers le futur
Avec la réintroduction du train classique Paris - Bruxelles, les voyageurs à petit budget disposent enfin d'une alternative pratique. Le train s'arrête à Mons/Bergen, Aulnoye-Aymeries et Creil, et peut-être aussi à Saint-Quentin. En outre, le train pourrait s'arrêter dans d'autres villes à l'avenir, bien que l'on ne sache pas encore où et quand. L'initiative de ce train vient de la SNCB et de la SNCF, sans que l'État n'intervienne. Cela signifie qu'il n'y a pas de subvention et que le train doit être rentable.
Chez Back on Track Belgium, nous nous réjouissons de ce train. Nous sommes heureux que la SNCB prenne un risque commercial (limité) et élargisse son offre de trains internationaux. Le train est loin d'être parfait, il est 40 minutes plus lent que l'ancien train classique entre Bruxelles et Paris, et surtout il y a une obligation de réservation et ils suivent également la voie française avec les frais de bagages. La billetique n'est donc pas du tout intégrée dans un réseau, et aussi le nom EuroCity (là où habituellement on utilise Ouigo), qui était la marque de fabrique des trains rapides avec air conditionné et restaurant, est quelque peu trompeur car ce train n'offre rien en matière de restauration. Néanmoins, nous applaudissons ce train. C'est un grand atout pour le voyageur européen. Merci à la SNCB et à la SNCF Ouigo.
(Photo : communiqué de presse de la SNCB)
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